• Comment je suis (re)devenue moche

    Dans une vie antérieure (comprenez le cruel passage de l'adolescence), je faisais partie de la catégorie numéro deux : les moches.

    Parce que dans la jungle du collège, c'était ça. Et j'imagine que ça l'est toujours : les populaires, les moches et l'entre-deux qui sert à rien. Cet enfer ne dure pas éternellement, Dieu merci.

    Les binocles qui mangent le visage, la ferraille dans la bouche, l'acné récidiviste, le cheveu luisant et la couenne tenace. Moche ultime. Type agression visuelle.

    Et puis arrive le lycée et les rôles s'inversent : la connasse populaire rase désormais les murs. Et les moches deviennent beaux (pas tous, hein). C'est la loi de la balance karmique. 

    Alors voilà, la monstruosité du collège ne s'en est pas trop mal sortie, finalement. Elle a fait du chemin depuis le retrait définitif de l'instrument de torture buccal et de l'avènement des lentilles de contact. Alleluia.

    On prend vite goût à tester sa nouvelle séduction, ça regonfle un (tout petit) peu la confiance en soi, foutrement malmenée à force d'entendre des horreurs à son sujet.

    Aujourd'hui, je pointerais volontiers du doigt tous ces ex-beaux (Merci, Facebook), mais on en restera là. La vie ne les a déjà pas épargnés, n'en rajoutons pas.

    Tout ça pour dire que tout espoir n'est pas perdu. Ou presque. Jusqu'à il y a une semaine, où le drame s'est avéré.

    Obnubilée par la symbolique du je-commence-une-nouvelle-phase, qui consiste à changer d'état d'esprit en même temps que de culotte, de garde robe, de disposition des meubles et de tête, je décidais d'en venir à bout de cette houpette du diable qui cachait mon front, pour une nouvelle coupe dégotée dans un de ces foutus magazines pour écervelée avertie dont je devrais stopper net toute lecture.

    Le rituel du coiffeur est intimement associé à cette phase de reconstrution du moi extérieur (en profondeur, je reste toujours aussi con, c'est pas compris dans le kit). Une fois par an, donc, je régénère ma tignasse qui pourrait pousser dans le droit chemin si je ne la menaçais pas tous les mois à coup de ciseaux hystériques. Complexité du genre féminin.

    Voilà que je piétine, supplie, puis oblige le garçon patient et masochiste qui partage ma vie, à m'accompagner au Temple de la Reconstruction du Moi : le salon de coiffure.

    Argh, je la vois, elle est là. Ciseaux en main. Le sourire narquoit. Elle sait. Je le sens.

    Elle sait qu'elle va ruiner ma vie en même temps que mon portefeuille. L'espace d'un instant, mes pieds indiquent la marche arrière mais je fonce comme un bélier borné que je suis, la boule au ventre, sans réfléchir. Je cours à ma perte.

    La voilà avec les même ciseaux au dessus de ma tête. A l'intérieur (de ma tête), ça hurle d'injures (envers moi-même) mais je me dis que, quoiqu'il advienne, les cheveux ça repousse, et que les chouchous, les cagoules et les barrettes c'est pas fait pour les chiens.

    J'ouvre l'oeil et j'aperçois une silhouette dans le miroir qui me fait face : une fille aux cheveux hyperlissés, hyperdégradés, hyperfrangés qui me regarde. Sa tête ne va pas du tout, mais alors pas du tout, avec le reste. Un blague vivante. Je pense que j'aimerais ne pas être elle.

    Trop tard.

    Le même garçon, très patient et soucieux de rester en vie, qui partage la mienne (de vie), me complimente et je pleure intérieurement parce qu'une fois l'effet hypercoiffé dissipé, je vais retrouver une chevelure digne de la forêt amazonienne, le truc visuellement hyperfoisonnant qui te donne l'allure d'un Popples électrocuté.

    Parce que, Madame Ciseaux-là, elle a fait du grand n'importe quoi : je ne suis pas coiffeuse, certes, mais j'ai appris la géométrie à l'école et question symétrie, elle a du avoir la gastro le jour de la leçon.

    Oui, ça repousse. OUI. Il y a des choses plus graves dans la vie que de ne plus ressembler à rien.

    Je crois que l'an prochain je vais songer à changer de cervelle. Autant neutraliser le mal à la source.

     

    (crédits illustration : Rachel Levit)


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  • Commentaires

    1
    Mai Le
    Samedi 4 Septembre 2010 à 11:58
    avis
    Belle prose!
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