• -Tu vas rencontrer quelqu'un et tomber enceinte d'ici la fin de l'année prochaine. Tu seras heureuse et épanouie. 

    Elle annonce ça de façon triomphante comme si le fait de savoir que tout ira bien dans le meilleur des mondes soulagerait ma douleur.

    Mais t'as vraiment rien compris, Maman. Tu dis ça pensant que ça me va me remonter le moral et moi tout ce que je peux te répondre c'est l'esquisse d'un sourire, derrière lequel je dissimule de toutes mes forces une énorme boule de gorge dont je retiens l'implosion du mieux que je peux.

    Je sais que j'ai pris la décision la plus sensée, moi qui ai toujours été plus égoïste qu'autre chose. Cette-fois, je n'ai pas pu penser qu'à cette envie viscérale d'avoir cet enfant. Parce qu'il était de Lui. Parce qu'il était l'allégorie de ce lien si particulier qu'il y a entre nous. J'ai dû renoncer à ça parce que c'est arrivé en plein chaos. Et que je n'imaginais pas comment on pouvait rendre un enfant heureux avec un départ apocalyptique dans l'aventure de la vie.

    Je ne me voyais pas non plus imposer la paternité à celui que j'aime follement, quitte à l'élever seule - je m'en sentais la force - mais comment peut-on faire ça ? Le laisser vivre comme si de rien en sachant qu'il a un enfant quelque part qui se demande où et qui est son père. Je pouvais pas, tu vois.

    Cette décision je l'ai prise sur un coup de tête après tout un mois où je me rêvais mère. Ça a été la décision la plus douloureuse de ma vie. J'ai renoncé ce à quoi j'aspire le plus au monde, c'est une partie de moi qui a été arrachée.

    Après ça, j'ai refusé d'y penser, d'en parler. J'ai fait ça dans le dos de tout le monde. Mais c'était pour me sauver. Refouler n'est pas la meilleure des solutions mais à ce moment-là c'était - dans cette situation - une question de survie.

    Les mois ont passé et aujourd'hui ça me revient en pleine face tel un boomerang. Parce que j'ai avorté sans lui en parler, je ne l'ai pas écouté. J'ai pensé le soulager en n'entravant pas ses projets. Et surtout, je ne lui ai pas dit l'essentiel. Que oui, lorsque j'ai fait ce test et qu'il était positif, c'est un visage souriant qui me faisait face dans le miroir. Et ce sourire-là en disait long.

    Aujourd'hui, tout ça tourne en boucle dans ma tête, et toi Maman, tu me dis que tout ira bien. 

    Mais t'as vraiment rien compris, Maman. Si c'était juste le désir de maternité qui se manifestait, j'accueillerais l'enfant de n'importe qui. Non, ce qui se manifeste c'est l'envie de Lui. Une envie folle, puissante et insensée qui m'anime depuis déjà dix ans. J'ai essayé de l'effacer de ma mémoire, de passer à autre chose, tu vois, je me suis mariée, j'ai vécu à l'étranger, loin, plus loin encore et rien y a fait. En fin de compte, plus j'ai tiré sur la distance et plus ça nous a rapproché.

    Et ce n'est pas en rencontrant quelqu'un qui sort de nulle part que se pansera cette plaie. Ce n'est pas non plus une nouvelle grossesse d'un quidam qui effacera la douleur d'avoir avorté la première.

    Tu as beau me dire que je serais heureuse, je veux bien faire l'effort de te croire. Mais il faudra d'abord que j'apprenne à vivre avec cette perte, cette douleur et cet amour contrarié.

    C'est ça que t'as pas compris, Maman.


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