• La trop envie de rien conjuguée à l'ennui de tout nous a décidé à sortir s'aérer l'esprit.

    J’enroule mon interminable écharpe autour du cou et tu me prends la main. Ce soir est froid, le pas se fait pressant sur le pavé.

    Tu dis Je t’aime Tu es belle Tu sens bon

    Un faisceau rouge tamise la terrasse de café et filtre tes yeux verts déjà embués par les vapeurs de ton mojito. Ton flot de paroles est comme une musique douce, sourde, enveloppante. Bercée, je me sens bien.

    Une table plus loin, un type me dévisage. Sur la droite, un couple mal assorti interpelle le garçon. Je ne retire pas les gants pour attraper mon coca light, volontiers troqué contre la coupe de champagne à la fraise que tu as proposé. Mais ce soir non. Ce soir, je peux pas. 

    J’ai prétexté mon inaltérable et fragile rapport à l’alcool. Tu en ris, c’est vrai c’est ridicule. Une goutte et j’ai l’air d’une folle. Une joyeuse illuminée qui devient progressivement lubrique avant de plonger dans un état somnolent des plus intenses.

    Et puis j’hésite. Je te parle de mes seins. Ça te fait sourire. 

    Ils ont enflés Tu comprends Je me sens obèse Je déteste ça

    Tu lances un regard libidineux. 

    Je crois que je suis enceinte

    J’imagine tes supplications : Non pas ça Et puis quoi encore C’est pas le moment tu comprends La situation Notre situation Les projets et puis nos âges Non vraiment Non Quelle horreur

    Et pourtant, tu souris tu dis La pharmacie doit être ouverte Allons chercher un test

    Tu souris encore, le vert de tes yeux pétille dans le rouge global.

    Je te suis, un peu sonnée. 

    Quand j’ai prononcé ces mots, quelque chose s’est révélé. Quelque chose que je croyais inexistant, impossible dans l’absolu. Quelque chose de semblable à un désir de maternité. 

    Un relais que j’ai toujours refusé de prendre, qui représente un cycle pourtant naturel mais inconcevable à mes yeux tant qu’il signifie la mort. Tant qu’il signifie la vie.

    J’enfouis le test au fond du sac et vais trembler jusqu’à ce qu’on soit rentrés. 

    On dîne chez l’italien, je t’écoute à moitié.

    Tu planifies. Expose tes envies, nos projets. Ma vue se fait trouble. Tu ignores cette main sur mon flanc  qui ne sait trop quoi espérer et ne vois que mon décolleté mis en valeur par les rayures de ma robe. Tu penses sûrement au moment où tu vas la retirer. 

    Je t’imagine père et pourquoi pas. Le changement radical que cela implique, si je suis prête à le surmonter. Oui. Pourquoi pas. 

    Sur le chemin du retour, tu me fais écouter un morceau sublime qui fait s’entremêler en moi un tas d’émotions. Tu sens perler les larmes au coin de mes yeux, tu as toujours su. 

    Je sais que toi aussi tu es ému. Si c’est l’air du temps, si c’est la nuit. Si c’est le sentiment que tout est en train d’évoluer, que l'on y peut rien, qu’il faut suivre la cadence et que ce sera ensemble. 

    Tu attrapes ma main et la serre aussi fort que tu peux.

    Aussitôt le seuil de l’appart franchi, je n’ai pas pris le soin d'oter le manteau ni l’écharpe ni même les gants. Faire le test, qu’on soit fixés.

    Une minute. C’est dire si c’est long quand on ne fait rien d’autre qu’attendre que la trotteuse ait fait son tour.

    Un trait.

    J’ai retiré mes vêtements et éteint la lumière. Sans un mot.


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